Fracture numérique et alphabétisation

Article rédigé pour la plus grande partie en 2016… et oublié dans mes brouillons. Je le publie aujourd’hui, car en cette ère de “fake news”, certains paragraphes m’apparaissent toujours très actuels !

Alors que je revenais de #Clair2016, pendant que nos cerveaux surchauffés (et contents de l’être) tournaient à grande vitesse, ça jasait fort dans les voitures sur le chemin du retour. (Faut dire que quand tu voyages avec Mario Asselin, Serge Goyette et sa conjointe Hélène Beauchemin, ça aide à avoir de ces conversations où l’on réfléchit parfois pas mal ! 😉 )

À un moment donné ou l’autre d’une discussion, une chose a commencé à me frapper.

aa-300x300Je me suis rappelé d’abord qu’une de mes profs d’université nous avait déjà dit qu’à une certaine époque lointaine, “savoir écrire” signifiait être capable de signer son nom. “Savoir lire” allait à peine plus loin que de lire une liste, etc. Depuis, les choses ont évolué, la vie s’est complexifiée, de plus en plus, et de plus en plus vite ! À une autre époque, plus récente, était considéré alphabétisé quelqu’un qui était capable de faire son rapport d’impôt, à supposé que c’était un rapport d’impôt de salarié normal, sans ajout de gestion multiple et de comptabilité inhérente au travailleur autonome, par exemple.

Puis, vers la fin du 20e siècle, ont commencé à poindre des réalités qui font maintenant partie de notre quotidien au 21e siècle (dont le 1/6e est déjà passé, soit dit en passant!). Je parle bien sûr de l’explosion du nombre des outils numériques, de l’explosion de leurs utilités possibles et de la place grandissante des réseaux, sociaux et autres, incluant l’infrastructure physique qu’il faut pour soutenir le tout. (Le sans-fil, c’est pas juste “dans les airs” que ça se passe : ça prend des machines pour fournir et diffuser le signal, etc. Parlez-en aux gens de Zap-Québec, ces pionniers du sans-fil à Québec, par exemple!)

Désormais, et nous n’y échappons plus, le quotidien EST numérique, et continuera de l’être de plus en plus. Ce qu’on disait “du futur” habite désormais notre présent, et ce, chaque instant ou presque ! (Un peu comme l’électricité jadis s’imposa progressivement comme une composante essentielle du quotidien : bien sûr, on peut arriver à “faire ou vivre sans”, lors de panne, mais l’électricité fait partie de notre quotidien depuis 7 ou 8 décennies au Québec, de sorte que tous considèrent normal de dépendre de ce courant électrique au quotidien.)

infobsit-et-curation-du-net-2-728Afin de pouvoir évoluer dans le monde désormais numérique, il faut posséder, maitriser certaines compétences qui ne sont plus exactement les mêmes qu’à l’époque pré-numérique. Ainsi, nous sommes devenus submergés d’informations de toutes sortes (l’infobésité), du bon comme du moins bon, nous obligeant ainsi à développer une certaine expertise dans l’évaluation du contenu qui nous est présenté en quantités industrielles, en plus de devoir savoir naviguer dans des flots de plus en plus gigantesques de données, présentées souvent de toutes sortes de façons.

Obligation, donc, de savoir chercher, de lire de grandes quantités d’informations, de confronter les informations qui nous sont présentées, obligation de développer à vitesse grand V son esprit critique, etc. Et obligation de faire des liens parmi tous ces hyperliens rencontrés lors de nos lectures. (Un ancien directeur d’école, Lucien (dont j’oublie le patronyme), qui suivait les cours avec nous à l’université, juste pour voir ce qu’on nous enseignait, disait lors d’une de nos mémorables pauses où ça jasait fort : “L’intelligence, c’est l’art de faire des liens.”)

Et c’est là, enfin, que je me suis permis de faire la comparaison avec les critères d’alphabétisation dont je parlais au début de ce texte, critères qui évoluent selon les époques. Nous sommes désormais rendus à une époque où quiconque ne veut pas être largué (ou ne veut pas être dépendant de ceux qui contrôlent l’information, ou encore en décalage) doit absolument développer les compétences informationnelles ci-dessus mentionnées.

Il en va de même pour ces compétences qu’il en allait récemment avec le “savoir lire des instructions dans un manuel” ou “savoir remplir un rapport d’impôts de base”.

Sinon, les gens qui ne maitrisent pas ces compétences informationnelles pourront être considérés plus ou moins “alphabétisés”, pourront être considérés comme plus ou moins fonctionnels dans une société qui modifie (et complexifie) constamment ses exigences au fur et à mesure de ses évolutions, qu’on soit d’accord ou pas (ou moins) avec ces évolutions. Et en bout de ligne, un citoyen analphabète (au sens d’analphabète numérique selon ce qui vient d’être défini ci-dessus) dans une société, ça donne un citoyen mal ou pas informé qui ne peut exercer son devoir de citoyen. Ceci, à supposé que la société prétendument démocratique dans laquelle on vit se fasse un devoir de publier les données dont chacun devrait disposer pour décider de façon éclairée (Voir “données ouvertes” dans Google pour un peu plus de détails 😉 )

C’est ce que nous avons nommé jusqu’ici la “fracture numérique” : ce décalage entre les compétences requises pour évoluer dans la société et les compétences acquises. En éducation, dans l’élaboration des programmes de formation, il me semble que ça doit (devrait) être une préoccupation constante! Et il me semble aussi qu’à la vitesse où le tout évolue, la compétence “savoir apprendre à apprendre tout au long de la vie” devrait être au centre des programmes et des formations !
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Note : On devrait lire ouvertS et gratuitS sur cette image 😉

 

Réinventer l’école, une personne à la fois… mais ENSEMBLE.

NOTE : cet article a été pondu en 2017 (!!!)… puis laissé en plan. Je le publie aujourd’hui pour démontrer que si peu de choses ont changé.

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Jamais je ne me plaindrai qu’on parle beaucoup d’éducation ces jours-ci. JAMAIS ! C’est bien trop important. Depuis le temps qu’on souhaite que l’éducation devienne vraiment importante au Québec (Rappelez-vous les chroniques de Patrick Lagacé il y a environ un an, sur ce sujet, où il dénonçait des aberrations, etc.).

Alors après les dénonciations de ce qui ne va pas (essentielle prise de conscience), il faut passer à l’étape de la planification, de la réflexion active VERS un bâtir ensemble… et se mettre en action et bâtir, enfin. Ce qui ne semble pas encore près d’arriver au Québec, tellement on aime s’entredéchirer la chemise en public, dénonçant à hue et à dia tel aspect oh combien scandaleux de telle proposition, etc., au lieu de tabler sur ses points positifs, meilleur gage d’avancement à moyen et à long terme. Attention, je ne dis pas qu’on doit avancer n’importe comment, mais si on veut un vrai projet de société, faut que l’ensemble de cette société y soit impliquée. Et que le projet soit rassembleur, et donc, qu’on y retrouve du positif autour duquel se mobiliser.

Ces jours-ci, en éducation, on a beaucoup parlé de ceux qu’il est maintenant convenu de nommer “les 3 vedettes”. Évidemment, beaucoup de gens du milieu de l’éducation ont été insultés. Et je les comprends parfaitement. Les gens du milieu, particulièrement en éducation, sont littéralement tannés/écoeurés de se faire dire quoi faire par quiconque s’estime compétent “parce qu’il est allé à l’école, un moment donné, dans sa vie”. On parle ici des milliers de gérants d’estrade, qu’ils soient parents, chroniqueurs, “faiseux” d’opinions tous azimuts, etc. L’allergie profonde du milieu aux gérants d’estrade est fort compréhensible. Imaginez 5 minutes ce que les médecins vous diraient si vous leur disiez quoi faire “parce que vous avez déjà été hospitalisé” dans votre vie. À l’évidence, ça ne constitue pas une raison valable et encore moins une compétence en médecine. Il en va de même pour la pédagogie : il y existe des spécialistes, les enseignants et autres intervenants, qui ont l’expertise nécessaire au plan pédagogique.

Or, dans le cas précis des 3 vedettes, certaines différences semblent ressortir.

D’abord il y a eu coulage de l’information, mais d’une partie de l’information seulement. Le projet était en cours d’élaboration, ça semble de plus en plus évident. Ce sont les 3 vedettes qui ont contacté le ministre, lequel a obtenu plus d’un million dans le dernier budget Leitao (le montant semble gros pour monsieur et madame tout le monde, mais représente un infime micro-pourcentage du budget total de l’éducation). L’info n’a donc pas bien été présentée, et le reste a été présenté en mode rattrapage, sinon en mode “damage control”. Disons que côté communication d’un message, ça commence un peu moins bien.

Ensuite, JAMAIS il n’a été dit clairement que les profs et autres intervenants en éducation ne seraient pas consultés. Mieux, les 3 vedettes, en entrevues, l’ont clairement réaffirmé. Alors, il est où, le problème? Dans la naïveté de ces 3 personnes qui pensent pouvoir influencer le milieu éducatif à leur manière, en collaboration avec ce milieu lui-même? Certaines affirmations, par exemple celle où Ricardo parle de “beurre d’arachides” alors qu’on sait que les allergies alimentaires sont sévèrement contrôlées dans les écoles, ont suscité des remarques. Personnellement, je pense que c’est ici un détail dans l’élaboration de l’exemple. Oui, ça prouve que ces 3 personnes ne connaissent pas la vie scolaire dans les détails, mais est-ce que ça les empêche de pouvoir contribuer?

Pour bâtir ou améliorer des écoles qui correspondent aux exigences du 21e siècle, il faut de l’expertise pédagogique : soit. Le milieu la fournira avec plaisir. Mais il faut aussi d’autres expertises et j’ose croire que ce sont ces types d’expertises que nous proposent nos 3 personnalités. Ils ont le goût de s’impliquer dans l’amélioration de la société? tant mieux : faisons-leur une place, et développons EN COLLABORATION !

On est à l’ère du développement en réseaux, je l’ai dit amplement dans plusieurs billets de blogue à la suite de différents colloques auxquels j’ai assisté depuis les 10 dernières années. Le développement en silo est devenu caduque dans une telle société, parce que hautement inefficace et inadapté à notre époque (C’est peut-être pour cela que le ministre “désavoue son ministère” (selon ce que j’ai lu dans certains commentaires), qui est un expert en silos…). Alors en conséquence, il importe d’arrêter de jouer à tirer la couverte le plus possible de son bord dans un climat de guéguerre (de clocher) qui ne fait qu’amplifier le négatif, devient rapidement contre-productif et, au final, débouche sur une polarisation du débat qui devient vite castrante, voire paralysante, et qui fait en sorte qu’on n’avancera pas d’un millimètre. Or “qui n’avance pas recule”, nous dit le dicton, surtout à la vitesse à laquelle la société évolue aujourd’hui. Le développement en silo nous donne de ces moments où chacun se la joue selon sa ligne de parti, où chacun proclame haut et fort SA vérité, etc. Pendant ce temps, le temps continue et nos écoles continuent d’être mal adaptées, etc.

Selon moi, il devient alors impératif d’avancer en collaboration, même imparfaitement. À l’évidence, il faut qu’on soit par contre conscient des limites des connaissances de chacun et qu’on fédère ces connaissances et ces expertises, afin d’élaborer en micro-société, ENSEMBLE, un tel projet de société. Ici le leadership du ministre de l’éducation, mais aussi du premier ministre (et ici, j’insère mon TRÈS GROS doute personnel, à la lumière de ce que j’ai vu de cette personne jusqu’à maintenant…) est important.

Concernant le ministre de l’éducation, j’ai eu l’occasion d’échanger quelques tweets avec lui lors du colloque #Clair2017. Je sais qu’il a lu/vu ce qui s’y passe et je sais son intérêt pour même venir y participer lors de l’édition 2018. J’ai recroisé le ministre, en personne cette fois, lors du RÉFER 2017 en mars dernier. À ma grande surprise, j’ai vu, pour la première fois depuis que je travaille en éducation (et ça se compte en décennies!), un ministre sur le terrain, prêt à écouter. Il est venu faire une allocution le jeudi matin, et a tenu à revenir passer une “couple d’heures” et de faire le tour complet de tous les kiosques “Vitrine de l’innovation”, prenant le temps de parler avec chacun, profs, élèves, et autres professionnels de l’éducation. Jamais je n’avais vu ça en carrière. Ça m’a redonné espoir, surtout que le ministre veut faire appel à des gens motivés, innovants, impliqués, afin de les consulter. (1)

Alors à la lumière de tout ça, j’estime qu’il est peut-être temps de considérer comme arrivé, le temps où on pourra enfin faire quelque chose. Nos écoles méritent INFINIMENT mieux que ce qu’elles sont présentement. Et oui, le gouvernement ou le ministère (plutôt?) a erré, concernant la nouvelle école St-Gérard à Montréal. On aurait eu une chance de faire quelque chose d’innovant et on a raté notre coup. Le plus bas prix n’est pas nécessairement gage d’efficacité et de réussite. Et ça, je pense que le ministre l’a compris. De plus, la démarche, passant par 3 personnalités et par une implication éventuelle de gens de l’éducation innovants, passionnés (le ministre aurait aussi pu dire “les crinqués”, sans doute 😉 ), cette démarche, hors du ministère, a quelque chose de significatif : le ministère est devenu un monstre où plus rien ne se passe, ou plutôt plus rien ne transparait. Trop de gens au ministère (je ne parle pas du bas de l’échelle, ici) sont occupés à de stériles guéguerres de pouvoir ou autres trucs non productifs… Là où l’action doit arriver, ces gens-là ne sont pas. Le message devient de plus en plus clair selon moi, il est temps d’innover, et les moyens devront être pris, hors la boite, mais avec les gens de la base, de l’intérieur des écoles, pour y parvenir.

Alors vivement une mise en place de tout ça, le plus rapidement possible, si on veut enclencher quelque chose avant les débats électoraux de 2018 ! D’ici là, je souhaite ardemment que les médias sachent nous informer plutôt que d’être à la recherche maladive d’audimat et de clics, par des titres sensationnels qui nous privent de l’essentiel du débat en permettant une dérive polarisante qui empêche de bâtir. Il faut un climat pour bâtir ensemble. La responsabilité d’instaurer ce climat constructif incombe à tous.

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AJOUT 2019-11-11 :

(1) : depuis l’écriture de ce texte, bien des choses (et deux ans!!!) se sont passées.

Le gouvernement a changé, le ministre de l’éducation aussi… On constate de très/trop timides avancements. (Le lab école se concentre sur le primaire seulement et a récemment présenté quelque chose, mais que je trouve que ça va si lentement et que les vraies affaires sont trop souvent occultées… Verrai-je le moindre changement majeur avant ma retraite prévue dans quelques années?!? J’en viens à douter chaque année que j’ajoute au compteur.