Le rôle des médias en éducation

Jeudi dernier, dans le cadre du colloque du CTREQ, j’étais invité à participer au «Bar des sciences», une discussion, sur le rôle des médias en éducation.

Pour cet évènement, étaient invitées quelques bonnes pointures, provenant des médias (traditionnels, faut-il le préciser), du milieu universitaire et du monde syndical en éducation. Il y avait donc André Chouinard, animateur et réalisateur radio à la société Radio-Canada (SRC), Carole Beaulieu, rédactrice en chef du magazine L’Actualité, Daniel Giroux, secrétaire général du Centre d’études sur les médias de l’Université Laval, Pierre-Paul Noreau, directeur de l’Éditorial au journal Le Soleil (à Québec), Réjean Parent, président de la CSQ (la centrale syndicale regroupant une grande partie des enseignants au Québec (sauf ceux de la région de Montréal) et, pour terminer, Sylvie Viola, professeur au département d’éducation et pédagogie et directrice du programme EPEP à l’UQAM et coauteure du Manifeste pour une école compétente.

Tout ce beau monde avait 5 minutes chacun pour nous présenter leur vision du rôle des médias en éducation ou pour nous rendre compte de ce qu’ils font dans ce domaine, dans leurs médias respectifs.

Monsieur Giroux a commencé par nous présenter quelques tableaux, résultats d’une étude qu’il a faite à propos des médias. Ainsi, on y apprend que l’éducation, dans les médias de masse, est un “petit” sujet, loin derrière le sport, la politique ou la météo (sujet de conversation de prédilection au Québec, question de variation constante de climat, sans doute !), par exemple. On y a aussi appris que les nouveaux médias ou médias sociaux sont utilisés pour s’informer par environ 30 % des jeunes (moins de 35 ans) et par 15 % des plus vieux… Une moyenne de 20%, donc, mais en constante augmentation.

Par la suite, monsieur Noreau nous a mentionné qu’un journal, c’est une “business” et que son but est de faire des profits, d’où le fait que l’éducation, un sujet moins vendeur, occupe une petite place dans son journal, et souvent, on en parle quand ça va moins bien car meilleur vendeur à ce moment. À son journal (comme à certains autres), on a toutefois pris la peine de dédier un journaliste attitré et une éditorialiste (Brigitte Breton) écrit régulièrement des articles sur l’éducation.

Madame Beaulieu a enchainé avec une comparaison entre les médias traditionnels et les médias sociaux qui sapent des revenus précieux… À un moment donné, je me demandais presque si nous assistions à une série d’invectives destinées aux éducateurs qui «font pas ci» et «font trop ça», qui critiquent trop le fameux (ou l’infâme) palmarès des écoles de sa revue, bref, j’avais une première impression (désagréable, il va sans dire) me laissant croire que les éducateurs sont responsables des déboires ou des difficultés financières des médias traditionnels !… (Finalement, plus tard, je me rendrai heureusement compte que le comportement de type «hérisson sur la défensive qui pique à tous vents» était en fait une sorte de provocation destinée à faire réagir : pour ma part, ça a très bien fonctionné : à partir de ce moment, je voulais parler, mais j’ai attendu une bonne demi-heure avant de prendre officiellement la parole…, question d”auto-modérer mes propos  😉 !)

Réjean Parent a dit, à son tour de parole, que tous les médias ne traitent pas l’information avec la même objectivité, mentionnant au passage l’hyper-concentration d’une certaine presse qui véhicule ainsi plus aisément son idéologie au détriment d’un traitement moins “orienté” ou plus objectif… Là-dessus, je trouvais qu’il généralisait peut-être un peu trop (même si la tendance s’observe souvent), ayant moi-même déjà fait partie des pages de ces journaux à deux reprises 😉 (2009 et 2011), les journalistes ayant alors fait preuve de certaines nuances importantes concernant le sujet traité… Ceci dit, je suis d’accord pour dire que certains chroniqueurs de certains journaux tentent un peu trop, parfois, d’influencer ou même de «manipuler» l’opinion publique dans un sens ou dans l’autre en étalant ici et là des jugements parfois à l’emporte-pièce ou des arguments douteux…

Finalement, madame Viola nous a parlé de ce qui est abordé en didactique concernant l’éducation et les médias. (Peu d’informations à mentionner ici, puisque j’étais à préparer mon intervention… Quelqu’un pourra peut-être compléter en commentaires à ce billet, merci !)

Mon intervention :

Voici ici un résumé de mes propos, dans des mots sûrement un peu autres que ceux utilisés oralement lors de ma prise de parole, mais qui résument l’essentiel de ma pensée sur le sujet.

Après que certaines personnes soient intervenues pour se désoler, avec raison, du fait que les bons coups en éducation ne sont pas assez diffusés dans les médias (mais ce n’est pas vendeur la plupart du temps, selon l’argument «$», qui est le nerf de la guerre), après qu’on ait constaté que la désormais défunte (presque à 99%) Réforme en éducation au Québec ait été tellement mal diffusée dans les médias et «charriée de travers» moult fois (sûrement à cause du jargon dont les éducateurs abusent, selon madame Beaulieu (!), après qu’une enseignante ait mentionné que la crise actuelle à propos des frais de scolarité est une occasion hautement pédagogique de lier éducation et médias, etc., j’ai pris la parole pour dire en gros ceci…

Nous assistons actuellement, et ce, dans plusieurs domaines, à une fragmentation, un éclatement de la diffusion de l’information, autant dans les médias que partout ailleurs. La venue d’Internet est par contre incontournable et les médias traditionnels doivent apprendre à vivre avec cette réalité ou mourir, carrément. (Madame Beaulieu me fera ici part du virage site web de l’Actualité avec, entre autres, le blogue de Jean-François Lisée… qu’il faut payer à même les seuls revenus disponibles actuellement, soit l’argent de la version papier… — À cela, j’aurais voulu ajouter que la modification du modèle d’affaire semble ici inévitable à moyen terme…)

En même temps, nous constatons que les médias ont un formidable pouvoir sur l’opinion publique en général, puisqu’ils peuvent informer de «bonne» façon ce public avec des journalistes consciencieux et chevronnés tout comme ils peuvent aussi influencer ce public avec un nombre grandissant de chroniqueurs de toutes sortes sur divers sujets. Bref, les médias ont du pouvoir entre les mains : il n’en tient qu’à eux de l’utiliser à bon escient, dans un but encore plus éducatif qui ferait encore plus notre bonheur, à nous les éducateurs. Bref, ils peuvent aider le public à faire la différence entre information et opinion… et aussi aider à faire la différence entre ce qui est amplifié de ce qui ne l’est pas (Allusion ici à la formidable amplification que les médias sociaux créent ou occasionnent parfois !)

Ici, on a donc le dilemme de la poule et de l’oeuf : est-ce que les médias doivent donner aux gens exclusivement ce qu’ils veulent lire ou entendre ou bien si les médias doivent en quelque sorte “éduquer” l’opinion publique en soumettant les gens à de l’information la meilleure possible. Est-ce que les médias ne doivent servir que du format clip car plus de gens en demandent ou s’il doivent prendre les devants et offrir AUSSI de la profondeur pour que de plus en plus de gens apprennent à réfléchir avec toutes les variables d’un casse-tête lorsqu’on aborde un sujet plus complexe ou avec un plus grand nombre de variables ?

En même temps, face à cette pluralité des sources d’information, nous les éducateurs avons un pouvoir en quelque sorte, du moins un rôle à jouer, celui d’éduquer à la pensée critique et au jugement face à cette pluralité d’informations de toutes sortes, les crédibles et les autres…

Nous devons donc, médias et éducateurs, apprendre la collaboration, plutôt que la confrontation (À ce moment, devinez qui je regardais ? ;-)). Nous devons apprendre à travailler ensemble pour améliorer cette quête de l’information, pour susciter le besoin chez les gens de BIEN s’informer, pour à la limite, apprendre à rejeter ces jugements à l’emporte-pièce (qui font vendre, mais imbécillisent la population) et ces raccourcis intellectuels, etc. Mais parfois, qui dit «garder les gens ignorants» signifie «conserver son pouvoir», si petit soit-il (?)… J’ose espérer qu’on sorte de cette dynamique pour pouvoir aller de l’avant vers une meilleure réflexion collective 🙂

Note 1 : À en juger par les commentaires recueillis à la suite de mon intervention, l’appel a été entendu ! Il nous reste tous à passer à l’action en ce sens !

Note 2 : Il m’a fait grand plaisir de revoir lors de cette discussion, certaines gens que je n’avais pas vu depuis trop longtemps. Je mentionne ici au passage Emmanuelle Erny-Newton, une passionnée d’éducation, de médias et de web, Vincent Tanguay, vice-président Québec, innovation et transfert au CEFRIO, Jean-Philippe Perreault (@jpperro sur Twitter) chargé de cours FTSR, Univ. Laval, et Frédéric Dufour, que j’ai pu croiser en personne pour la première fois, mais avec qui je dialogue sur Twitter et/ou SynapTIC à l’occasion, Véronique D’Amours et Hélène Rioux du CTREQ, sans oublier les vieux amis comme Nathalie Couzon du MELS, Annie Côté et Jean-Yves Fréchette (Twittérature) et Jessy Rodrigue, croisée elle aussi en personne pour la première fois.