Article paru originalement ailleurs, que je reproduis ici en lien avec une de mes lectures du jour.
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Avec les « bassins » d’affectation des profs qui surviennent invariablement chaque mois d’août, « bassins » dans lesquels se brasse une soupe de stress particulièrement intense pour la plupart des profs à statut précaire, arrive l’époque de l’année où cette catégorie de profs fait aller ses doigts de façon intense sur le clavier du téléphone ou de l’ordi, et où s’échangent des parcelles de renseignements afin de faire telle ou telle déduction d’ouverture de poste, de tâche, etc. Bien entendu, il s’échange aussi beaucoup d’états d’âme, lors de ces conversations. Quelques rumeurs aussi…
Cette année, mes collègues précaires du secondaire ont échangé, sur les réseaux sociaux, des messages particulièrement sombres par rapport aux autres années. Bien entendu, le secondaire subit une baisse de clientèle (dans mon territoire, en tout cas, c’est la réalité), et ce, pour les trois prochaines années au moins. Avec le « mini-babyboom », la situation devrait changer, car au primaire, la « remontée » est déjà amorcée, mais pour le secondaire, il faudra attendre…
Cette année, donc, j’ai vu plusieurs de mes jeunes collègues se décourager, certains n’ayant carrément aucune tâche à se mettre sous la dent et se voyant condamnés à ne faire que de la suppléance… Mais encore ici, selon un ordre établi pas toujours évident à suivre… Mince alors ! D’autres ont pu être plus chanceux, grâce aux règles du droit de retour où un prof peut retourner à l’école où il était l’année d’avant, moyennant certaines possibilités offertes et autres « technicalités » (…), clause négociée entre le syndicat local et la commission scolaire dans l’entente locale au renouvellement de la convention collective. Mais d’autres ont pu également être lésés ou se sentir comme tel. Bref, ces conditions plus pointues qui régissent l’embauche varient parfois assez substantiellement d’une commission scolaire à l’autre à cause, justement, de ces ententes locales.
Là où le bât blesse, c’est lorsque ce stress, omniprésent chez les précaires à ce moment de l’année, devient trop intense et pousse ces mêmes enseignants au découragement profond. Ce n’est peut-être pas pour rien que 20 % des enseignants abandonnent la profession dans les cinq premières années. À ce moment-ci, je pourrais être tenté de réagir en « vieux mononcle » en disant que les jeunes sont moins résistants que nous, à l’époque où nous étions précaires et que nous allions littéralement « faire du camping » devant les bureaux de la direction de l’école convoitée, pendant les journées pédagogiques d’août, attendant lamentablement que les miettes de tâches tombent de la table afin de sauter dessus courageusement, sans réaliser l’ampleur de travail de ces tâches morcelées, où on bossait à 150 % pour un salaire de 33 %… Peut-être étions-nous courageux, mais peut-être étions-nous aussi moins conscients.
La génération « X » en général (et peut-être les plus vieux de la « Y ») n’a pas eu le choix d’accepter à peu près n’importe quoi comme travail, car les disponibilités étaient rares lors de l’entrée sur le marché du travail. La génération « Y » en général et la nouvelle génération dite « C » qui arrivent sur le marché du travail n’ont probablement plus ce réflexe. Certains disent que ces gens savent beaucoup plus ce qu’ils veulent. D’autres disent qu’ils sont moins résistants à cette tension. Ça reste à déterminer selon moi. Mais il n’empêche que ce stress peut être assez dévastateur et qu’une partie de celui-ci pourrait être diminué. Comment ? Voici quelques pistes, un point de départ pour la réflexion, mais sûrement pas un tour complet sur cette complexe question.
Tout d’abord, il faudrait revoir, en les simplifiant, ces ententes locales (et, pourquoi pas, la « nationale » aussi) concernant l’embauche, car à force de vouloir régler complètement chaque petite difficulté qui survient, on a fini par accoucher de documents fort volumineux et, surtout, fort complexes : un vrai code de loi, parfois immensément alambiqué, chaque partie (commission scolaire vs syndicat) cherchant à faire passer son point de vue, forcément souvent divergent, à travers le libellé d’une clause ou d’un article… Déjà ici, si le gros bon sens prévalait, on aurait peut-être quelque chose de plus humain à la base. Je ne dis pas que les intentions des rédacteurs de ces textes étaient mauvaises, mais avouons ici aujourd’hui que des effets pervers se font de plus en plus lourdement sentir et que la complexification affecte autant les enseignants que les directions des écoles elles-mêmes.
Ensuite, il faudrait peut-être que les directions d’école soient mieux formées concernant ce stress que certains semblent avoir oublié aussitôt assis sur leur chaise de chef… Ça ne semble « pas gentil » ce que je dis ici, mais pour l’avoir déjà vu, je peux en témoigner. Et ce ne sont évidemment pas toutes les directions qui font montre d’incompréhension apparente ici. Mais il suffit que certains augmentent plus la pression que d’autres chez leur personnel précaire pour que le négatif rejaillisse… comme aux Nouvelles, finalement ! Il en va ici de même pour les directions qui refusent un poste à un prof : les justifications bidon, ça ne passe pas. Alors vaut mieux avoir quelque chose de solide à dire au prof refusé, et surtout, quelque chose de constructif, car parfois, de très bons éléments se font ainsi tasser pour des raisons parfois valables, mais dans le feu de l’action, on ne prend pas le temps de bien expliquer, d’aider le prof à vivre la réalité de façon plus humaine. Et quand on décourage de bons éléments, certains quittent le navire et je trouve toujours cela bien triste… En résumé, les directions ont un immense pouvoir sur une personne concernant son choix final de carrière, et ce pouvoir doit être utilisé avec grand soin! Et il faut être conscient de ce pouvoir (même s’il est limité par les grandes règles édictées dans les documents et autres conventions) sans, bien sûr, en abuser.
Par ailleurs, il ne faudrait pas juste voir en chiffres la réalité des postes offerts. Des directions disent parfois, avec une réelle incompréhension dans le regard, que telle personne a refusé un 50 %… sans égard à la composition presque inhumaine de ce 50 %. Les tâches, comme la vie en général, ne se résument jamais qu’à de seuls chiffres, il faudrait que nos administrateurs dans les écoles, mais aussi encore plus dans nos commissions scolaires (!), en soient conscients! En clair, les profs (les plus jeunes inclus) veulent enseigner, faire de la pédagogie, ne pas simplement boucher des trous et remplir des cases horaires…
Enfin, j’interpelle aussi certains enseignants plus âgés, permanents depuis longtemps, afin qu’ils arrêtent de dire des phrases du genre « J’ai été précaire, moi aussi, pis c’était bien pire dans mon temps : alors, que les jeunes mangent leurs bas et attendent un peu pour les beaux postes et les belles tâches ! ». Ce discours, calqué sur ce que j’appelle « le principe de l’armée » (Soldat, tu sues; rendu officier, tu fais suer les inférieurs), ne règle absolument rien et engendre plus de frustrations qu’autre chose.
Donc, si on veut attirer de bons éléments dans la profession enseignante, il faut ramener l’embauche et l’ampleur des tâches à une échelle plus humaine. Le système, dans son évolution à vouloir tout régler, a fini par pousser le tout vers une certaine déshumanisation qui, en bout de ligne, finit par avoir l’effet inverse de celui escompté. Alors, vivement que l’on aide le balancier à revenir un peu plus au centre et vers l’équilibre… humain ! Sinon, les occasions d’aller voir ailleurs se multiplient de plus en plus…
il y a des mesures de formation à la gestion du stress à mettre en œuvre, dont les techniques de ” coping ” : voir La prévention des risques professionnels des enseignants : http://www.officiel-prevention.com/formation/fiches-metier/detail_dossier_CHSCT.php?rub=89&ssrub=206&dossid=349