Y en a marre de la désinformation – éducation au Québec

Ça fait un moment que la question me turlupine, voire m’exaspère, surtout quand j’entends telle ou telle connerie, niaiserie, chose de la part de la ministre, etc., etc.

Aujourd’hui, je retrouve cette lettre d’une collègue, affichée sur le babillard dans la salle des profs. J’ai tout de suite eu le goût de vous partager cette lettre, avec le consentement de l’auteure, bien sûr !

Voici donc la lettre d’Isabelle Arseneau, une jeune enseignante talentueuse et prometteuse, qui se décourage parfois comme nous tous devant certaines absurdités colportées à gauche et à droite, souvent sans mauvaise volonté, bien sûr également, mais pas tout le temps peut-être malheureusement !

PARENTHÈSE

J’en profite pour “ploguer” ici un autre texte génial, d’André Roux celui-là, qui a décidé de pondre ce fameux billet après presque 2 ans d’absence de la blogosphère (mais pas de la Twittosphère, par contre 😉

/PARENTHÈSE (fin de la)

Marre

Lettre d’Isabelle Arseneau à Claude Bernatchez, animateur du matin à la Première Chaîne de Radio-Canada.

«Bonjour M. Bernatchez,

Je vous écris, et c’est une première dans mon cas, en réaction à ce que j’ai entendu sur vos ondes concernant les déclarations de la Ministre sur ce que vous avez qualifié de «réforme de la réforme». J’étais très en colère, je le suis encore. Comment une représentante syndicale peut-elle défendre la situation des enseignants sans même être en mesure d’expliquer la différence entre une connaissance et une compétence? Ce bafouillage était non seulement une insulte pour tous les professionnels qui ont investi du temps à s’approprier ces termes, à ajuster leurs pratiques, mais c’était une preuve supplémentaire mettant en évidence l’incompréhension des détracteurs de cette dite réforme que je préfère nommer «Renouveau pédagogique».

Je suis une jeune enseignante du secondaire en science et technologie avec seulement quatre années d’expérience. Je suis aussi chercheure au CRIRES (Centre de recherche et d’intervention sur la réussite scolaire, à l’Université Laval) et je travaille justement sur des approches didactiques innovantes avec évidemment le développement de compétences comme finalité. Pour faire court, je considère avoir une excellente connaissance de ce renouveau pédagogique et je considère être compétente dans l’exercice de ma pratique. Je ne veux pas faire ici le procès de tous les maux de notre système éducatif, je veux simplement remettre certaines choses au clair. Il y en a marre de la désinformation par rapport à l’éducation!

D’abord, qu’on s’entende bien. La connaissance est nécessaire à la compétence. Il n’a donc jamais été question de mettre de côté les connaissances. Tous les enseignants que je côtoie n’ont jamais arrêté d’évaluer les connaissances! Bien au contraire. Ce qu’on demande maintenant c’est d’utiliser ces connaissances dans un contexte. C’est aussi de faire des liens, de poser un jugement, de vulgariser, etc. C’est une tâche certes plus complexe, mais qui donne un sens aux apprentissages et qui tend à former des citoyens compétents.

Prenons l’exemple que vous avez utilisé ce matin. Je ne suis pas formée en géographie, mais je peux vous expliquer que la connaissance des provinces canadienne est une chose, mais que savoir lire une carte en est une autre. Vous comprenez? Un autre exemple dans mon domaine disciplinaire, qui résume ce que je fais présentement avec mes élèves de troisième secondaire. Comme avant, l’élève doit connaître l’organisation cellulaire. Mais maintenant, il est amené à se positionner sur l’utilisation de biotechnologies comme la vaccination, l’utilisation du lait cru, l’utilisation de cellules souches ou autres sujets d’actualité lui permettant non seulement d’utiliser ses connaissances dans un contexte réel, mais aussi de se former comme citoyen responsable. Je pourrais vous expliquer longuement la grande pertinence de ce virage dans le système d’éducation, qui suit d’ailleurs une tendance mondiale. Le problème M. Bernatchez, c’est que même la Ministre de l’éducation a peine à comprendre ce qu’est la compétence.

Un dernier point, si je peux me permettre, concerne cette fâcheuse tendance à se concentrer sur le décrochage plutôt que sur la réussite, sur l’apprentissage, sur l’engagement étudiant, etc. Ce n’est pas en demandant aux enseignants de travailler le samedi qu’on règlera le problème. Leur tâche est déjà très lourde à porter. Il me semble évident qu’une des premières choses qui accroche un jeune à rester en classe, c’est un enseignant motivé et motivant qui cherche à diversifier ses approches pédagogiques stimulant ainsi tous les types d’apprenants. Le problème c’est que les jeunes enseignants, comme moi, aussi passionnés qu’ils peuvent l’être, mettent constamment en doute leur carrière dû au «bénévolat obligatoire» qu’on exige d’eux. La profession est sous-valorisée et la ministre se permet de faire de l’ingérence dans leur pratique. Est-ce que le Ministre de la santé dit aux médecins comment poser un diagnostique? Alors, pour quelles raisons Mme Courchesne se permet de dire aux enseignants comment évaluer leurs élèves quand visiblement elle n’a aucune idée de ce qu’est la compétence? L’exemple du retour aux chiffres en est le parfait exemple. Elle n’a pas non plus la vision du contexte de la classe et de ce que peut représenter le travail d’un enseignant au quotidien.

Je constate, oui, qu’il faut revisiter l’évaluation des compétences telle qu’elle se fait présentement, mais ce n’est pas nécessaire de revenir en arrière. Il y a de grandes choses qui se font dans les écoles M. Bernatchez et il faut arrêter de croire que tous les élèves du secondaire ont envie de décrocher. Plusieurs sont engagés dans leurs études et motivés (comme peut l’être un ado!) à venir en classe. Il faut se concentrer sur l’apprentissage, valoriser la réussite. Le problème est pris à l’envers. Plutôt que de monter une nouvelle marche on nivelle vers le bas. C’est bien dommage, surtout que le système est en train de drainer les jeunes enseignants motivés, déjà fatigués.

Merci pour votre lecture,
En espérant entendre une réponse aux propos tenus ce matin lors de votre émission,

Bonne journée,

Isabelle Arseneau
Enseignante de science et technologie»